
Réflexions sur l’arc préhistorique par Didier Raymond
En 1991 j’avais publié une courte note anecdotique de bibliographie sur l’emploi de l’arc au paléolithique supérieur qui reprenait l’état des connaissances de ce sujet (RAYMOND 1991b). Comme cette note qui s’intitulait « L’arc préhistorique a-t-il des racines à Teyjat ? » avait été publiée dans le bulletin Spéléo-Dordogne du Spéléo-Club de Périgueux et n’avait bénéficié que d’une faible diffusion, je l’ai mise en ligne récemment (2015) ce qui m’a permis par la même occasion de diffuser une publication ancienne (PERRIER DU CARNE 1889) que je possédais et difficile à trouver, publication qui est d’ailleurs à l’origine de ma note de 91.

Document photo : bison gravé sur un fragment d’os provenant d’une côte (de bovidé ?) brisée en trois (les deux autres fragments sont également gravés d’un bison) Grotte de la Mairie Teyjat (Dordogne), fouille Perrier du Carne. Reproduction photo (détail) d’une héliogravure (PERRIER DU CARNE 1889) (Collection et photo de l’auteur)
Depuis, la note a été reprise dans un site (www.prehistoweb.fr) et remise en ligne par un animateur de ce site. Je dois dire également que la visite du site en question qui traite, entre autres, des techniques primitives de chasse et de la fabrication des outils qui vont avec, m’a permis de découvrir l’existence d’une thèse fort intéressante dont je reparlerai plus loin. Comme quoi la mutualisation de l’information sur internet peut servir à quelque chose. Je m’efforce aussi de relayer et diffuser tout ce qui pourrait facilement passer inaperçu autrement, et c’est tout l’intérêt selon moi d’internet. Depuis 1991, d’autres travaux que ceux dont je parlais dans ma note ont paru, d’autres aussi ne m’étaient pas connus. Quelques découvertes ont été faites depuis et la possibilité de recherche en ligne facilite grandement la collecte d’informations. Les blogs et sites qui s’intéressent à l’arc en général ou aux techniques primitives de chasse donnent des historiques sur les origines des différentes techniques, mais ils sont souvent incomplets. On trouve également nombre d’associations qui expérimentent avec beaucoup de pertinence toutes ces techniques et sont très souvent plus près d’une plausible réalité, par leur expérience pratique, que des travaux plus scientifiques mais sans doute un peu trop éloignés des préoccupations de nos ancêtres. Mais à la décharge du scientifique on doit aussi reconnaître que des suppositions de départ peuvent être prises pour des vérités quand elles sont relayées sans discernement.
Certes la science n’est pas avare de slogans racoleurs, mais ne fait-elle pas elle aussi sa publicité ! Ceci étant, l’information circule mieux aujourd’hui et c’est cela l’essentiel. Le développement de la forêt pourrait expliquer la raréfaction du propulseur puis sa disparition en Europe à la fin du Magdalénien. Les changements climatiques majeurs, même progressifs, sont des agents importants d’autres changements dans les sociétés humaines, probablement depuis l’origine de l’humanité (COPPENS 2006). En dépit de sa moindre portée balistique par rapport à celle de l’arc, l’emploi du propulseur nécessite un environnement dégagé, l’arc étant d’utilisation plus aisée en milieu fermé. Sans doute aussi, la réduction de la taille des animaux chassés a concouru à l’abandon du propulseur plus difficile sur des petites proies car moins précis. L’arc comme le propulseur ont leurs
avantages et leurs inconvénients. L’arc mobilise les deux mains, alors que le propulseur n’en occupe qu’une ce qui dans certains cas le rend supérieur à l’arc, notamment pour la chasse du phoque depuis un kayac. De plus, dans cette chasse l’armature du harpon est reliée à une corde, ce qui ne serait pas impossible avec un arc mais serait plus compliqué. Il existe une technique de pêche moderne à l’arc où la flèche est reliée à un fil qui rempli
le tambour d’un moulinet solidaire de l’arc. Pour une proie aussi puissante qu’un phoque ce procédé ne serait pas envisageable. La multiplication des essences forestières a dû également aidé dans le choix des bois les mieux adaptés pour la fabrication du corps de l’arc et des hampes de flèches. Les « armatures » quant à elles sont connues depuis des dizaines de milliers d’années et un travail de thèse original tente de démontrer la possible
existence de l’arc il y a environ 50 000 ans sur la foi d’un grand nombre de micro-pointes « Levallois » présentant des micro-traces d’impacts caractéristiques, l’ensemble de l’étude portant sur un même site (METZ 2015). Comme le faisait justement remarquer Alain Testart (TESTART 1986), les causes peuvent être multiples et ne se départissent pas de l’environnement et des préoccupations sociales et culturelles. Ce sont tout autant les conditions sociologiques que pratiques, bien que les deux puissent être interdépendantes, qui déterminent les changements plus ou moins rapides d’habitudes dans l’usage d’une technique, ou le maintien de pratiques considérées plus archaïques. Un jugement de valeur émis postérieurement n’a d’ailleurs pas beaucoup de sens. Les sociétés ou micro sociétés ont à leur disposition des connaissances techniques accumulées depuis des dizaines de milliers d’années, certaines peuvent être préférées à d’autres pour des raisons autres que strictement pratiques. La pratique même des techniques anciennes de chasse, connues ou supposées, explique souvent mieux les besoins et les intentions que n’importe quelle étude typologique confinée dans des graphiques et des tableaux. Ce ne sont pas les objets qui guident l’humain mais l’inverse. Il suffit d’observer l’inventivité et l’adresse des inuits chassant le phoque depuis un kayac (GESSAIN 1947, CATTELAIN 1994). Le superflu technique y est absent, chaque instrument et chaque geste a son importance et ce sont les impératifs et l’expérience qui sont prépondérants.
Est-ce pour autant que ce savoir transparaîtra dans une étude archéologique, rien n’est moins sûr.
Je ne crois pas à une évolution linéaire de l’arc et de ses qualités intrinsèques. Ce qui s’observe pour l’industrie lithique, du galet taillé (chopper) au microlithes, n’a pu exister concernant un ustensile faisant intervenir une propriété comme celle de l’arc, l’élasticité. Propriété qui est ou qui n’est pas. Soit l’arc a fonctionné tout de suite, soit il n’a pas existé. Beaucoup d’objets remplissent leur fonction dés le début parce que leur
conceptualisation a elle aussi fonctionné tout de suite dans l’esprit de leur concepteur ou utilisateur. Par conséquent, les objets archéologiques qui sont inopérants considérés dans une application rationnelle sont peu convaincants. Ils ont dû servir à tout autre chose qu’à ce à quoi on les destine après coup.
Ce doit être notamment le cas du « plus vieil arc du monde ? » avec un point d’interrogation précisément (ROSENDALH 2006). Cet objet ressemble fort peu à la partie d’un arc (instrument de chasse) « utilisable » et a pu avoir une autre fonction. La poupée, notamment a pu servir de point d’attache pour un lien quelconque, maintien d’un sac ou d’une toile de tente, d’une ligne de pêche, portage d’une charge par exemple. Même si l’objet en question est supposé faire partie d’un arc, l’argumentaire n’explore pas toutes les possibilité de sa destination. On pourrait en dire autant du résumé de la Thèse de Laure Metz (décembre 2015) qui conclut ainsi « Les résultats amènent à la conclusion que seul un système de propulsion tel que l’arc a pu compenser la faible énergie cinétique des tous petits éléments impactés découverts à Mandrin E. » alors que le titre est interrogatif « Néandertal en armes ? Des armes, et de l’arc, au tournant du 50ème millénaire en France méditerranéenne », ce qui est contradictoire. Soit on est sûr, « seul un système de propulsion tel que l’arc », soit c’est une supposition. Mais je n’ai pas encore pu lire le travail de Madame Metz, donc attendons de voir. Pourquoi l’arc exerce-t-il une aussi grande fascination sur nous, dits modernes ? En exerçait-il une sur nos ancêtres ? Ce renouveau d’intérêt soulève aussi la question des inventions et de leurs origines. Si on y regarde de plus près et de la manière la plus objective possible, sans considération de palmarès, de performance ou de chauvinisme, les véritables inventions doivent être somme toute assez rares, pour ne pas dire inexistantes. Je ne sais plus qui avait trouvé la formule, « les découvertes sont des inventions ratées », peut-être Haudricourt (ou Leroi-Gourhan ?), et ce qui a été découvert à un moment et dans un lieu l’a aussi généralement été à un autre moment (la simultanéité parfaite étant impossible) et dans un autre lieu, avec des petites différences
souvent.
Ce sont essentiellement des conditions identiques ou très voisines qui déterminent les évolutions, qui ne sont que des changements et des adaptations à de nouveaux impératifs, qu’ils aient été créés (provoqués) ou qu’ils soient la conséquence de pressions extérieures. Ce qui paraît admissible, nonobstant, c’est que les pratiques guerrières à partir du mésolithique ont entraîné le développement de l’usage de l’arc en
Europe. Qu’en est-il ailleurs ? Que l’arc soit resté absent de vastes régions comme l’Australie ne peut s’expliquer seulement par l’absence de contacts extérieurs, on devrait également prendre en compte les besoins et les nécessités des peuples concernés, leurs démographies et leurs psychologies aussi. La stabilité climatique a aussi son importance. Chaque peuple du monde exploite des savoirs technologiques, les expérimente, et retient
ce qui lui paraît le plus satisfaisant pour lui (pas pour le chercheur), il n’y a pas de concours ouvert à priori (GENESTE 1998). D’autre part, qu’importe pour nous de savoir si les chasseurs de la préhistoire connaissaient l’arc depuis 20 000, 50 000, 100 000 ou 200 000 ans ? S’ils n’en connaissaient pas l’usage ils avaient d’autres ressources et ils auront survécu à l’arc, si j’ose dire, les vestiges archéologiques en témoignent. Nos ancêtres étaient-ils des crétins ? Comme je le disais plus haut, des découvertes archéologiques en rapport avec l’arc sont intervenus depuis 1991, on en trouve la trace sur internet même si elles sont peu nombreuses, à contrario des découvertes d’art pariétal qui n’ont cessé de se multiplier depuis une trentaine d’années ce qui a permis de réviser pas mal de points de vue. Peutêtre leur rareté ne plaide pas en faveur de la haute antiquité de l’arc ?
Pierre Cattelain a publié un article assez documenté faisant le tour de l’emploi du propulseur et de l’arc au paléolithique supérieur (CATTELAIN 1994), plus ou moins repris dans une publication plus récente (CATTELAIN 2006). Dans ses contributions à peu près toutes les problématiques ont été abordées ce qui donne un bon appui à la réflexion. Nombreuses sont les études de tracéologie depuis plusieurs dizaines d’années déjà, la technologie évoluant elles ne cessent d’apporter de nouvelles réponses. Mais ce qui importe avant tout n’est-il pas de se poser les bonnes questions ? En même temps, les expérimentations se multiplient mais elles ne peuvent prendre en compte tous les paramètres, à fortiori ceux qui ne nous sont pas connus. Rien ne remplacera l’expérience vraie difficile à reproduire en condition expérimentale. Il semblerait aussi que les laboratoires ultra sophistiqués aient supplanté les apports de terrain de l’ethnographie et de l’ethnologie qui puisaient directement dans l’humain, avec toutes les réserves indispensables. Même si on peut penser avoir tout exploré dans ce sens, la masse énorme de données collectées n’a peut-être pas encore été suffisamment exploitée. La spécialisation a remplacé une approche plus globale et certaines disciplines ne semblent plus être à la mode, c’est peut être dommage. Pour conclure et afin de laisser le lecteur se faire sa propre opinion sur la question « vibrante » de l’ancienneté de l’arc, quelques extraits pris « à la volée » dans la bibliographie présente en fin de note. Les sources accessibles depuis les liens aideront, je l’espère, à éclairer le mystère de l’origine de l’arc. Ou son mythe ?
Extraits choisis
LEROI-GOURHAN A., 1943 (1971)- L’homme et la matière. (les numéros renvoient aux dessins de l’auteur) Un autre moyen est d’employer l’élasticité d’un ressort. Les pièges en font le plus large
usage. Pièges à ressorts fixés par une extrémité communs à l’Afrique, l’Océanie (159), le Pacifique nord, pièges à arbalète qu’on trouve en Afrique (160) comme en Sibérie ou au Japon. L’arc de chasse ou de guerre conserve un court moment la force de la flèche, l’arbalète peut rester tendue, comme le piège à arbalète, aussi longtemps que l’exige l’action de chasse.
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L’arc de métal est une rareté des forgerons habiles de l’Iran, le ressort métallique n’est connu que dans des applications qui appartiennent au premier courant de l’industrialisation des techniques.
l’arc et la flèche peuvent se fixer sur une très grande marge culturelle parce que tous les groupes que nous connaissons peuvent fabriquer des arcs (ce qui n’est pas dire doivent fabriquer des arcs) ;
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LEROI-GOURHAN A., 1945 (1973) – Milieu et techniques. (les numéros renvoient aux dessins de l’auteur) L’arc à balles (712) permet de propulser une pierre ou une balle de terre glaise légère.
L’arc est simple lorsqu’une seule pièce de bois ou de métal le constitue, composite lorsqu’il est fait de l’assemblage de plusieurs parties ; sa forme est régulière (748), semi réflexe (750) ou réflexe (751). Les arcs simples sont les plus nombreux et se rencontrent dans toutes les parties du globe. En Afrique, on trouve l’arc simple régulier, de forme parfois assez étrange (749), chez tous les groupes qui n’ont pas l’usage exclusif du fusil
(748). En Asie, l’arc simple régulier est connu des Sibériens centraux et orientaux (Iakoutes, Amouriens, Ainous) et du Japon ancien. L’arc simple semi-réflexe appartient aux Andamans, l’arc simple réflexe (751) aux Sibériens occidentaux et à l’Asie centrale. L’Océanie possède des arcs simples réguliers. L’Amérique du Sud et du centre a des arcs simples réguliers qui atteignent souvent une longueur plus grande que celle du tireur (Brésil, près de deux mètres) ou au contraire plus courts que la flèche (Oukaiali, 70 centimètres pour des flèches de plus d’un mètre). Les Peaux-Rouges avaient un arc simple légèrement réflexe. Les arcs composites peuvent être faits de plusieurs lamelles de même substance (arcs semi-réflexes de bambou du Japon) ou de plaques de bois, de corne et de tendons (arcs réflexes mongols ou iraniens). La raison de cette fabrication est plus souvent dans l’absence de matériaux appropriés que dans la recherche d’une meilleure portée (témoins les arcs eskimo (752) composés de lamelles de bois de renne), mais elle aboutit souvent à l’amélioration de l’arme : c’est le cas de l’arc mongol (corne, bois et tendons), de l’arc japonais (bambou refendu) et des arcs eskimo ou indiens, dont l’âme de bois est renforcée de tendons (753). Les archers emploient souvent un brassard de cuir ou d’os qui protège l’avant-bras contre la friction de la corde de l’arc.
GESSAIN R., 1947 – Les Esquimaux du Groënland à l’Alaska.
Les adolescents construisent de véritables arbalètes, témoins d’une arme ancienne qui n’a survécu que pour servir de jeu aux enfants.
LEROI-GOURHAN A., 1962 – Histoire Générale des Techniques.
La présence de l’arc au paléolithique supérieur n’est pas à exclure, les témoignages directs manquent malheureusement de façon totale.
TESTART A., 1986 – Le communisme primitif.
Il est généralement admis que l’invention du propulseur précède celle de l’arc. Cette opinion s’appuie tout d’abord sur le fait que l’existence du propulseur est attestée en Europe depuis le paléolithique supérieur, alors que les premiers arc retrouvés ne datent que du mésolithique. Hormis l’Europe préhistorique, le propulseur est connu en Australie, en Nouvelle-Guinée, dans certaines îles de Micronésie et de Polynésie, dans l’Est sibérien et un peu partout dans les deux Amériques. Il est suffisamment répandu de
par le monde et dans des milieux suffisamment différents, du désert à la toundra, pour qu’on ne l’envisage pas comme un instrument spécialisé adapté à un milieu spécifique ou à un type particulier de chasse.
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L’arc n’aurait diffusé en Amérique que lentement à partir de l’Asie, hypothèse qui semble corroboré par le fait que l’arc composite utilisé en Asie depuis longtemps (Okladnikov 1964 : 29-30) est bien connu de l’Amérique du Nord, mais totalement absent du Sud.
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L’usage de l’arc n’est attesté qu’à l’épipaléolithique (ou mésolithique), par les flèches, ou du moins les objets considérés comme tels, à Stellmoor et par l’arc entier retrouvé à Holmegaard. Les peintures du levant espagnol, où l’on voit des chasseurs munis d’arcs, sont rapportées à la même époque.
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On a aussi voulu voir dans certaines pointes de la fin du paléolithique des pointes de flèches en raison de leur ressemblance frappante avec certaines pointes de flèches néolithiques : ainsi de la pointe à pédoncule (à soie) et à ailerons du solutréen espagnol du Parpallo ou des pointes pédonculées atériennes d’Afrique du Nord.
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Avant de conclure à l’existence de l’arc, il faudrait donc d’abord élucider les raisons de ce développement des pédoncules, technique d’emmanchement ou autre…
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Que l’arc ait été inventé à l’extrême fin du paléolithique supérieur ou juste après, au début du mésolithique, la différence est minime. Cette invention, dont on ne peut sousestimer la protée16, est à rapprocher des autres innovations du mésolithique : armatures en microlithes, domestication du chien, embarcations, pièges, filets, etc.
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16. Bordes parle de cette « autre révolution » (autre que la révolution néolithique) amenée par l’invention de propulseur et de l’arc 1960 : 110). Boriskovsky parle du « rôle énorme » de l’invention de l’arc et des flèches (1958 : 310-11).
ROZOY J.-G., 1992 – Le propulseur et l’arc chez les chasseurs préhistoriques.
Techniques et démographies comparées. L’arc est attesté de façon sûre (par des arcs et des flèches) à partir du Dryas III dans l’Ahrensbourgien. Il peut être déduit des poids et largeurs des armatures (Rozoy, 1978, p.1010, 1989 c) pour l’ensemble du stade très ancien (Azilien et Aziloïdes de
l’Alleröd) et, au moins localement, dès la fin du Dryas II dans le Valorguien et dans certains sites du Magdalénien final (Gare de Couze) (Bordes, 1979). Il a probablement été inventé plusieurs fois, notamment dans le Solutréen du Parpallo, mais sans suite. Par contre à partir de la fin du Dryas II la continuité et la généralisation sont assurées. On ne connaît actuellement aucun site préhistorique où sa présence (certaine ou déduite) coïncide avec celle du propulseur.
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Les archers épipaléolithiques sont des hommes de la forêt, celle-ci est un milieu hospitalier, riche en gibier et où il fait bon vivre. Les recherches ethnographiques des dernières décennies ont montré que les chasseurs « primitifs » subactuels, avec trois ou quatre heures de travail par jour, mangent plus que les rations calculées par les diététiciens, et que leur densité de population est réglée nettement au-dessous de la capacité nutritive de leur territoire. Cette régulation n’est pas d’origine alimentaire,
mais bien sociale et inconsciente (détails et références dans Rozoy, 1978, p. 10631064). Il n’est pas inutile de le rappeler, puisqu’en 1988 l' »Histoire de la population française » (vol. 1, p. 35-36) fait encore état de la vieille théorie de la famine et des « rôdeurs de grèves ».
GENESTE J.-M., 1998 – Pointes ou outils triangulaires ? La conclusion de cette courte étude incite à une discussion plus nuancée de l’interprétation des paramètres de variabilité multifactoriels. L’argument de l’efficacité technique (encore lui !) et l’évidence d’une aptitude à concevoir une technique ne peuvent témoigner seuls de la généralisation et du rôle de cette innovation technique au sein d’un système et d’une économie. La prise en compte d’une diversité de données contextuelles joue un rôle de plus en plus décisif au sein de nos disciplines 11 et s’avère indispensable à l’étude d’une question telle que la chasse qui ne saurait être envisagée utilement dans le cadre restrictif des données directes trop exceptionnelles parmi les vestiges mobiliers conservés. En réduisant alors les aptitudes conceptuelles et comportementales au Paléolithique moyen à celles attestées par des données contingentes fussent-elles techniques, on en vient à surinvestir le rôle réel de certains faits techniques au détriment de facteurs bien plus déterminants dans le choix et la pratique d’un mode de subsistance.
Dans ce domaine l’histoire des techniques et l’ethnologie ne manquent pas d’exemples de solutions sous-optimales préférées à d’autres plus performantes pour les simples raisons que les choix culturels obéissent à d’autres facteurs que l’efficacité technique seule et que l’inventivité est immense dans le cadre des moyens d’action sur la matière.
PLISSON H., 1998 – Pointes ou outils triangulaires ? La question de l’équipement cynégétique des Moustériens du Levant, qui ouvre sur celle
de leurs stratégies de chasse et des capacités comparées des Néandertaliens et des Sapiens sapiens 15, est d’un intérêt majeur. Aussi, le fait que les données actuelles paraissent contradictoires (quelques très rares évidences d’armatures lithiques de projectile au côté d’une majorité de pointes ou d’éléments triangulaires sans trace d’impact) justifierait, ainsi que le suggère J.-M. Geneste, une analyse plus poussée du matériel archéologique, des développements expérimentaux approfondis (variation des modes de construction et de fonctionnement des armes, du gabarit du gibier, etc.), publiés de façon détaillée, et l’étude au cas par cas de chaque gisement comme le souligne A. Marks, au contraire de la démarche globalisante de J. Shea qui dessert l’important débat scientifique qu’il a eu lui-même le mérite de poser.
(H.P.) BEYRIES S., 1998 – Pointes ou outils triangulaires ?
Lorsqu’il n’y a pas de traces, il n’y a pas d’interprétation possible. C’est une des limites de la méthode, il faut l’accepter et s’y tenir. On ne peut pas glisser progressivement comme le fait John Shea (1989) vers une interprétation comme projectile de toutes pièces présentant des traces d’emmanchement. En ce qui concerne cette partie du débat et s’appuyant sur des critères stricts de détermination, la réponse est : non, les pointes
Levallois et les éclats triangulaires n’ont pas une fonction de projectile à Kebara. En ce qui concerne la deuxième question, nous ne nions à aucun moment la présence de projectiles au Proche-Orient au Paléolithique moyen. La découverte à Umm el Tlell d’une pointe fichée dans une vertèbre d’asinien en est un témoin. En outre, comme nous l’avons signalé, les épieux de bois sont attestés par de nombreux exemples. Ainsi les armes d’hast étaient probablement présentes au Paléolithique moyen mais sans doute,
comme le souligne J.-M. Geneste, faut-il rechercher d’autres solutions techniques que celles reconnues pour des périodes plus récentes. La démarche de John Shea n’apparaît pas convaincante. En outre, l’analyse fonctionnelle manque encore d’études approfondies de grandes séries pour que l’on puisse fixer des régularités entre style, morphologie et fonctionnement de l’outil, particulièrement au Paléolithique. (S.B.)
YEGNAN-TOURÉ A., 2008 – La technique et le jeu de l’arc musical.
Utilisé depuis la préhistoire, l’arc musical se retrouve aussi bien dans l’Europe préhistorique – ce dont témoigne la gravure magdalénienne du « chasseur à l’arc » (10 000 ans av. J.-C.) de la grotte des Trois Frères en Ariège – qu’en Amérique, en Océanie, en Asie et en Afrique. Son ancienneté lui a valu d’être considéré comme l’ancêtre des instruments à cordes.
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RÉSUMÉ. L’arc musical à résonateur buccal est composé d’une branche arquée et d’une corde. Sa technique de jeu nécessite l’action de plusieurs éléments dont une baguette en bambou séchée, un bâton-touche, et l’indispensable complément sans lequel les sons seraient peu audibles : la bouche. La baguette excite la corde et impulse un rythme à toutes les pièces exécutées sur cet instrument. Quant au bâton-touche, une fois appliqué
sur la corde, il raccourcit la longueur vibrante de celle-ci et permet l’obtention d’un son aigu qui s’ajoute au son grave qu’émet la corde lorsqu’ elle est excitée par la baguette. À ces deux éléments s’ajoute la bouche dont le rôle dans l’amplification et la sélection des sons de l’arc musical fait l’objet de cet article. Rapprochés de la corde vibrante, les organes de la cavité buccale se meuvent. C’est en l’occurrence la langue pelotonnée qui,
dans un mouvement en ascenseur, sélectionne les différentes hauteurs de son pendant que le début du larynx s’ouvre et que les cordes vocales, les aryténoïdes, restent immobiles. À ces organes s’ajoutent les ouvertures et fermetures progressives de la mâchoire qui, comme le larynx et le volume de la cavité buccale, aident à l’amplification des sons produits par l’arc musical. C’est la danse – les mouvements synchronisés – de tous ces organes qui permet la production des sonorités extraordinaires que l’on reconnaît à l’arc musical.
Bibliographie et liens
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BRÉZILLON M., 1983 – La dénomination des objets de pierre taillés. Editions du C.N.R.S.
BRÉZILLON M., 1985 – Dictionnaire de la préhistoire. Librairie Larousse.
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